De même qu’on a pu dire des Rolling Stones qu’ils étaient le plus grand groupe américain d’Angleterre, on peut affirmer que Claro est le plus grand écrivain américain qu’on ait en France !
Traducteur (des plus grands écrivains américains), écrivain (une quinzaine d’ouvrages), éditeur et même critique dans son blog Le Clavier Cannibale, il ne manque pas de talents. Avec CosmoZ, il nous livre un roman somme toute étonnant. On en connaît généralement l’idée centrale quand on attaque la lecture : les personnages du Magicien d’Oz, cet hyper-classique de la littérature jeunesse américaine (dont tout le monde se délecte, de 7 à 77 ans) échappent à la fiction de leur auteur pour traverser le vingtième siècle. Du Kansas à Vienne en passant par les Ardennes et la Californie, il vont parcourir un sacré bout du monde. Le roman marie d’une manière troublante le réalisme historique et la fantaisie onirique et enfantine du texte qu’il cannibalise.
Car si l’on connaît un tant soit peu les héros un peu cucu du Magicien d’Oz, soit dans leur version livresque (pas si courant que ça en France), soit dans la version en Technicolor de 1939 avec Judy Garland (vous savez, « Somewheeeeeeeeeere over the rainbow… »), on imagine mal qu’ils puissent en passer par la matrice historique de toutes les horreurs dont le XXe siècle fut fécond. Claro nous a en fait mijoté une recette invraisemblable. Les gentils foutraques d’Oz se mâtinent de Freaks à la Tod Browning et les camps de concentration eux-mêmes finissent par devenir des cirques tragiques. L’invraisemblance, Claro s’en moque évidemment comme de son premier Hollywood chewing-gum. Au contraire, il construit un récit dont l’abracadabrante atmosphère est précisément ce qui nous tient en haleine, ce qui fait la saveur du récit. Monstres gentils ? Monstres tout court ? C’est dans cette hésitation que se niche la puissance de ce roman délirant, mais tant que ça.
Au cours d’une tornade particulièrement violente, une gamine du Kansas est arrachée à la grisaille de son quotidien et s’envole pour Oz, pays féérique. Elle rencontrera un épouvantail, un bûcheron en fer blanc, un lion peureux, une paire de nains… Sur ces gentils petits personnages, plane l’ombre des hommes creux, poème très sombre de T.S. Eliot. Et Claro se paie (et nous offre) même le luxe de faire de l’auteur du roman original, paru en 1900, un personnage de CosmoZ. Pire encore, les personnages assistent et participent au tournage… du Magicien d’Oz de la MGM. Cette fantasmagorie se mêle au récit très détaillé et très historique de ce tournage, ce qui crée une ironie extrêmement drôle si on se prend au jeu. De quoi y perdre son américain, je vous le dis. Et comme on change de personnage principal à chaque chapitre, la voix du narrateur s’exprimant alternativement par « tu », « je » ou ‘elle », on n’a pas de crainte de s’ennuyer.
Cet imaginaire débridé qui permet à Claro de braver toutes les conventions lui vient à l’évidence de sa fréquentation intime des grands contemporains des lettres américaines, où la capacité, tant ringardisée chez nous, à raconter une histoire est essentielle. La verve de son style, son humour discret mais très efficace, sa manière d’intégrer tous les dialogues au style indirect ou de chercher le regard décalé sur son propre récit dans chaque phrase évoquent puissamment, et avec quel bonheur, la liberté de ton des grands de la littérature d’outre-Atlantique. On est plus près de Faulkner que de Flaubert.
Féérique et terre-à-terre, drôle et grave, disert et efficace, plein d’amour et de haine, ce roman nous embarque pour un voyage troublant où l’enfance a le goût du meurtre.