« Allah » dans un titre de roman ? Les « bons Français », athées et chrétiens réunis, fuient à toutes jambes, redoutant l’ennui d’un univers ne les concernant pas le moins du monde. Les « non moins bons Français » musulmans ignorent également ce qui ne les concerne que trop, mais pas avec les imprimatur nécessaires.
Alors mission impossible pour Nedim Gürsel? Que nenni, car il y a tous les autres - chrétiens, athées, musulmans (et bien d’autres choses encore) - qui s’intéressent à la littérature. A sa puissance d’évocation, au fait qu’elle n’a peur d’aucun sujet ni d’aucune idée, d’aucun mode de traitement (du moment que le talent est là). Et surtout qu’elle s’adresse à la fois à l’imagination, à la sensibilité et à l’intelligence de ses lecteurs.
Et disons-le : la littérature est au rendez-vous que nous fixe Nedim Gürsel avec son roman Les Filles d’Allah.
En premier lieu c’est l’histoire d’un enfant très pieux, dans la Turquie d’il y a cinquante ans, et dont le narrateur interroge la Foi (mais en nous racontant sa vie, bien sûr). Sans doute pour comprendre où il en est lui-même aujourd’hui. Pourquoi ces croyances, ces émotions intimes, ces élans du coeur sont à la fois si présents en lui et pourtant si lointains. Auprès de ce petit garçon, très tôt orphelin, il y a un grand-père, très croyant, et qui est allé, en 1915, défendre Médine contre ses coreligionnaires arabes (souvenons-nous de Lawrence d’Arabie). Médine, bien sûr c’est la ville de Mahomet, orphelin lui aussi, et qui n’a pas eu d’héritier mâle… comme le grand-père. Et Gürsel nous raconte aussi des choses sur les années du prophète avant sa révélation. Et aussi sur ce que c’est pour un homme de devenir prophète (qu’on le croie ou non, peu importe : ce qui est sûr c’est que Mahomet l’a vécu). Comme l’a vécu Abraham longtemps avant. Et enfin, Gürsel va faire parler des personnages muets jusque-là puisque de pierre : les « filles d’Allah », qui, dans le panthéon arabe préislamique, jouent un rôle très important : celui d’intercesseur entre les hommes et Allah. Et comment elle vont « vivre » la montée de l’Islam à travers les actions de ce Prophète (dont une est amoureuse) et qui va les déboulonner.
Alors, bien sûr, on n’est pas dans de la spiritualité à la Coelho ou de la théologie à la Da Vinci Code. Les interrogations de Gürsel, c’est au lecteur de les relayer, de se les approprier, Mais encore une fois, on reste dans un roman, à la construction certes complexe et savante, mais dont l’écriture est parfaitement limpide. Au fur et à mesure, on plonge dedans, chaque personnage se précise et vient nous livrer un petit morceau de ce que Nedim Gursel veut nous faire toucher du doigt pour en faire un morceau de nous-mêmes. La littérature, vous-dis-je.