Ces âmes chagrines termine la deuxième trilogie de Léonora Miano ( Tels des astres éteints et Blues pour Elise). Cette trilogie consacrée aux Afropéens alimente la réflexion de l’auteure autour de la conscience de couleur, de la pensée et du penser noirs, non plus vus de l’intérieur du « Continent » africain explorée dans sa première trilogie (L’Intérieur de la nuit, Les Aubes écarlates et Contours du jour qui vient) mais cette fois au « Nord ».
Tels des astres éteints met en scène trois destins (ceux d’Amok, Schrapnel et Amandla) et, à travers eux, trois manières de se penser noir et de trouver sa place dans le monde. Nous nous approchons du Continent au fur et à mesure que l’on avance dans le livre : Amok se sent isolé de ce qu’il appelle la « noirie », tout en y étant ancré; Schrapnel prône un renforcement et une cohésion du monde noir pour une place qu’il veut fière et universelle; et pour Amandla la diaspora africaine se doit de s’investir non pas partout sur la terre, mais bien sur le Continent afin d’asseoir une identité et de balayer les préjugés et le mépris du reste du monde envers l’Afrique. La structure de ce roman est dictée par la musique, un air débute chaque section et accompagne ainsi chaque personnage dont les histoires peuvent se lire indépendamment les unes des autres.
Dans Blues pour Elise », Léonora Miano nous invite avec moins de violence et plus de légèreté à explorer le temps de l’amour et la vie des femmes noires du Nord, notamment à Paris. Toutes les femmes décrites dans ce roman sont de nationalité française. Leurs histoires d’amour et d’amitié sont racontées par fragments qui se rejoignent. Cette structure par plages, comme les morceaux d’un CD, nous permet d’entrer dans la vie parisienne (elles prennent le Vélib, travaillent, s’assument, se cherchent, découvrent des secrets de famille…) de ces femmes qui, au-delà de leurs spécificités ethniques (qui ne sont d’ailleurs pas cachées), sont avant tout en quête de l’amour dans ce qu’il a de plus universel.
L’aboutissement de la recherche identitaire des Afropéens se trouve dans Ces âmes chagrines. Après avoir exploré le domaine de la conscience de soi puis celui de l’intimité, nous approfondissons ici celui de la famille, thème cher à Léonora Miano. C’’est en effet à travers les liens familiaux qu’elle décrit si bien les paradoxes et la recherche identitaire non seulement de ses personnages, mais aussi de l’homme en général et de l’homme noir en particulier. Pour cela nous suivons le parcours d’Antoine Kingué, allias Snow. Snow, mannequin sans emploi mais faisant illusion, veut se faire une place au soleil, devenir une vedette à la vie facile. Cette ambition superficielle cache en fait un vrai désir de revanche sur la vie et surtout sur sa famille. Antoine fut abandonné par sa mère, envoyé en pension à l’âge de sept ans, alternant avec des vacances passées au Mboasu pays subsaharien honni. Il se venge d’abord sur son demi-frère sans-papiers, Maxime, en lui soutirant la moitié de son salaire contre ses papiers d’identité (lui étant français); puis en déversant tout son mépris sur sa mère clochardisée, à qui il accorde quelques piécettes hebdomadaires. Tout ce mépris cache en fait une immense solitude et le poids des secrets de famille. Antoine va l’apprendre dans un long parcours qui va le laisser face à lui-même le jour où Maxime lui apprend qu’il retourne au Mboasu avec leur mère. Dans cette structure plus classique, et dans une langue toujours aussi soignée et rythmée, Léonora Miano invite Antoine, et à travers lui les Africains, à s’inventer un destin et à se libérer du poids du secret et de la honte.