Chantier interdit au public est tout d’abord un modèle d’observation participante, on pourrait même dire “l’idéal-type”. Nicolas Jounin jeune chercheur au laboratoire URMIS, couronné du prix « la ville à lire » pour son ouvrage, est assurément une des valeurs montantes de la sociologie française. Ce livre est tiré de sa thèse de doctorat.
Son enquête nous donne à voir et nous aide à comprendre les rouages du BTP. En s’immergeant en tant qu’ouvrier, il nous livre ici des clés de compréhension indispensables pour saisir la montée des incertitudes touchant un nombre croissant de travailleurs en France.
Du recours à la sous-traitance désormais considéré comme la norme, en passant par l’intérim, Nicolas Jounin nous montre les méthodes qu’utilisent les majors du secteur (Bouygues, Vinci, Eiffage) pour compresser les coûts au maximum. La précarité et l’incertitude sont donc au coeur de cet ouvrage.
Atomisation des collectifs, sécurité bafouée pour respecter les cadences; l’externalisation a des conséquences néfastes pour les travailleurs bien entendu… mais aussi pour les entreprises, c’est ce que nous montre à voir le jeune chercheur.
Un cadre d’une PME se dit “surpris qu’il n’y ait pas plus de bâtiment qui se cassent la figure en France.” Voilà qui rassure….
Nicolas Jounin nous explique donc quels pis-aller sont utilisés par les entreprises pour contrecarrer les effets délétères qu’a la précarité institutionnalisée sur la qualité des constructions.
De la fidélisation des intérimaires en passant par le recrutement par cooptation, les entreprises (majors et PME sous-traitantes) mettent en place des stratégies informelles pour éviter les effets néfastes de l’externalisation sur la production.
On découvre aussi que le racisme et les discriminations sont omniprésents. Telle ethnie sera assignée a telle tâche, alors qu’une autre n’est pas jugée capable de l’assumer. Les employeurs figent les identités et imposent une vision racialisante qui leur permet d’assigner chaque ethnie à des tâches particulières.
Le racisme joue aussi un rôle prépondérant dans les promotions. Les travailleurs victimes de discriminations intériorisent leur “champ des possibles” pour reprendre un vocable bourdieusien, et par conséquent le fait qu’il ne pourront pas “grimper” dans la hiérarchie. Par ailleurs, la précarité touchant les sans-papiers en fait aussi une main-d’oeuvre très recherchée par les entreprises, tant que ces dernières ne sont pas inquiétées.
Pour conclure, Nicolas Jounin nous amène à nous poser cette question : doit-on tolérer si facilement la flexibilité et l’individualisme que celèbre la presse managériale avec les conséquences que l’on sait, ou doit-on essayer de sauvegarder les protections collectives vectrices de sécurité ? Le salariat désocialisé est-il voué a devenir la norme?
Pour son premier livre publié, c’est un coup de maître, on en redemande.
Nicolas Jounin sera invité à La Réserve le 21 janvier 2009 à 20 h 45.