Avec Des éclairs, Jean Echenoz nous brosse la troisième de ses biographies express et subjectives. Qu’il désigne d’ailleurs comme « romans » et qui se savourent et restent dans notre mémoire comme tels, même si on a l’impression grâce à l’acuité du regard de Jean Echenoz d’avoir saisi quelque chose au plus profond du personnage et de son époque.
Ravel est profondément ancré dans la culture universelle, et Zatopek a laissé des traces dans la mémoire collective, au moins de quelques générations. Avec son dernier roman, le personnage principal est à la fois basé sur un personnage réel, Nikola Tesla, ingénieur visionnaire aujourd’hui peu connu ou oublié (même si Wikipédia ou des sites qui lui sont consacrés montrent une place indéniable dans l’histoire des techniques). Echenoz préfère le rebaptiser Gregor pour en faire un personnage de fiction. Et nous raconter l’histoire d’un perdant magnifique.
Sa naissance présage du reste de sa vie : incertitude de l’heure, durant une nuit où sévissent de violents orages. Antipathique et surdoué, il inventera tout ce qui nous semble indispensable aujourd’hui : le courant alternatif (et tout ce qui en découle) et « d’autres projets spectaculaires à base d’électricité » dont une invention pour l’exposition universelle de Chicago. Cependant, par un acharnement du sort, il se fait déposséder de ses inventions par plus riches et plus puissants, à commencer par Edison. Parfois c’est tout bonnement lui qui ne s’y attarde pas sur ses intuitions (au-delà du dépôt d’un brevet :
… il devrait s’arrêter cinq minutes sur l’une d’elle pour la mener à son terme et la développer, l’explorer d’autant plus qu’il s’agit chaque fois de phénomènes promis à un certain avenir, jugez-en. La radio. Les robots. Le microscope électronique. L’accélérateur de particules. L’Internet. J’en passe (p. 80).
A chaque échec, il rebondit vers une autre idée. Sa source est inépuisable mais peu à peu l’amertume et le désespoir prendront le dessus. Il finira sa vie abandonné de tous, dans un hôtel minable.
En cent-cinquante pages, nous avons à la fois le rêve américain dans toutes ses potentialités pour un petit immigrant, et la dure réalité des rapports de force dans un système capitaliste où les contes de fées sont certes utiles à l’image de marque, mais doivent rester une miraculeuse exception.
Le livre est d’une écriture brillante et sobre, toujours conduite par les nécessités d’un récit lui-même extrêmement limpide. La partie la plus complexe du livre, dans l »appréhension du personnage, et de ce point de vue il s’agit bien d’un roman, concerne les rapports de Gregor avec les autres, les femmes en particulier. On peut dire qu’il s’agit d’un vide quasi sidéral, à une exception près et encore. Souffrant d’une phobie du contact physique, Gregor ne s’épanouira que dans ses contacts avec les pigeons, jusqu’à l’apothéose finale.