Qui n’a jamais entendu son garagiste ou plombier dire que son travail n’était pas intellectuel, qu’il n’était pas doué pour les études, qu’il était un manuel? N’avez-vous jamais eu la sensation que les personnes affirmant cela comme une vérité se trompaient ? Et vous-même n’avez-vous jamais été envahi par un infini sentiment de satisfaction après avoir réparé de vos propres mains tel ou tel appareil électroménager, ou après d’autres petits travaux de la maison ?
Dans L’Eloge du carburateur, M. B. Crawford revient sur la dichotomie entre travail manuel et intellectuel. Il nous explique que cette distinction fabriquée par « l’économie du savoir » tend à aliéner les salariés des grandes bureaucraties, où tout est fait pour appauvrir la pensée critique et la réflexion au profit du rendement. Une sorte de travail intellectuel à la chaîne.
Lui-même, diplômé de philosophie et ayant travaillé dans un think tank à Washington, quitte ce boulot bien payé pour ouvrir un garage de réparation de motos. C’est ainsi, à travers le récit de sa reconversion, qu’il amène sa réflexion sur le sens de la valeur travail dans les sociétés occidentales.
M. B. Crawford revalorise le travail manuel en tant que démarche intellectuelle totale. Quelque chose est cassé, on le démonte, on l’étudie sous toutes les coutures et on tente d’apporter une solution. C’est une démarche qui s’avère passionnante et, puisqu’elle est concrète, elle est immédiatement gratifiante. C’est cela qui manque tant au « travail intellectuel »; et, si le travail manuel est tant dévalorisé (aujourd’hui on « rate sa vie » si on ne fait pas un minimum d’études supérieures) c’est parce qu’il est toujours synonyme de manque d’ambition voire d’échec scolaire et social. Et force est de constater avec Crawford que tout est fait pour exclure les cours de technologie de l’enseignement général, tant aux États-Unis qu’en Europe et en France.
Cet essai qui se base sur l’expérience de son auteur est tout à la fois récit (souvent drôle), réflexion philosophique et sociologique. Il met en lumière une pensée sous-jacente au monde bureaucratique dans lequel nous vivons.