Pennsylvanie, 1974 : le traumatisme de la guerre du Viêt-Nam est encore douloureux, le scandale du Watergate vient d’ébranler l’administration Nixon et entacher son credo « la loi et l ‘ordre », les luttes violentes des années 60 ont permis au mouvement des droits civiques d’amorcer une meilleure intégration de la population noire dans la société. C’est dans cette Amérique bousculée et en pleine mutation que deux jeunes filles de 18 ans partagent la même chambre au Schuyler College.
Genna est studieuse et plutôt douée. Elle a grandi dans un milieu familial libéral qui lui a inculqué des valeurs de tolérance. Certains membres de sa famille se sont illustrés dans leurs engagements politiques et leur activisme « droitdelhommiste ». L’héritage Quaker est fortement ancré en elle. Toutefois, elle a souffert du manque d’encadrement parental et s’est trouvée souvent laissée à elle-même. Bonne camarade, ses relations au sein du collège, tant avec ses professeurs qu’avec les autres élèves, sont sereines.
Minette est renfrognée et désagréable. Hautaine et solitaire, elle arbore souvent un air indifférent, voire méprisant. Elle est issue d’une famille très aimante, un cocon familial ultra-protecteur et conservateur derrière lequel elle se réfugie. Elle ne semble pas s’intéresser à grand-chose d’autre qu’à sa foi évangéliste, autre rempart qu’elle élève contre les autres. En fait, elle a un esprit assez étriqué. Personne ne l’apprécie et elle ne cherche surtout pas à s’intégrer dans la société.
Malgré cela, Genna désire plus que tout au monde être la meilleure amie de Minette : une amie comme une soeur. Elle fait donc tout pour plaire à Minette et obtenir un sourire, une confidence, une confiance, que l’autre lui refuse continuellement. Genna essaie de trouver des affinités avec Minette, mais en vain, car leurs centres d’intérêts n’ont rien en commun. Elle cherche des excuses à Minette et des circonstances atténuantes qui pourraient expliquer son comportement taciturne. Elle ferme même les yeux sur les attitudes très antipathiques de sa camarade de chambre. En vain : Minette reste froide et distante.
Pourquoi Genna insiste-t-elle donc alors qu’elle aurait toutes les raisons de laisser Minette ronchonner dans son coin ?
Parce que Minette est noire et que Genna est blanche.
Parce que Minette est boursière et que Genna est riche.
Parce que Genna se sent privilégiée et coupable. Parce que Genna veut absolument être du côté des faibles et des opprimés. Parce que, même si Minette s’est délibérément mise en marge de la société, Genna veut à tout prix l’intégrer.
Mais Minette commence à perdre les pédales. Rongée de jalousie, elle se renferme de plus en plus. Son isolement volontaire lui pèse certainement. Elle est malheureuse, frustrée. Elle prend du poids, ne se lave plus, ses résultats scolaires dégringolent. Elle devient paranoïaque, se dit la cible d’attaques raciales. Plus Genna compatit, plus Minette se victimise. Puis un jour, Genna découvre le secret de Minette, mais le tait pour « protéger » son « amie ».
Ces « bons sentiments » seront le mauvais choix qui fera courir Minette à sa perte. Si Genna avait agi objectivement et légitimement, peut-être le destin de Minette aurait-il été autre, et peut-être aurait-elle secouru efficacement Minette en pleine détresse morale. Mais elle ne l’a pas fait, et, quinze ans plus tard, ce regret la taraude encore. Culpabilité, quand tu nous tiens…