Ce gros livre (pas moins de 900 pages si l’on inclut les notes, la filmographie et l’index) est avant tout un grand livre d’histoire, avant même d’être sans doute le meilleur livre sur Godard et un excellent livre sur le cinéma .
Son sujet c’est bien sûr Jean-Luc Godard, cinéaste dont les films ont profondément marqué le cinéma pendant au moins 35 ans (je dirais jusqu’en 1985). Encore que ce qu’il filma après, redevenu plus marginal, fut loin d »être négligeable. Et sa dernière œuvre, Film Socialisme, fut un choc esthétique, sensible et intellectuel à la fois, pour beaucoup de ceux qui l’ont vu. Et c’était en 2010, alors qu’il a 80 ans et que sa sortie est postérieure au livre d’Antoine de Baecque.
Alors bien sûr ce livre est hyper documenté, très complet, il prend les films un par un et décortique leur gestation en les replaçant dans la trajectoire d’un grand artiste. On voit littéralement se construire une personnalité à partir d’un jeune homme certes doué, mais ni très impressionnant et encore moins fascinant. Tout sauf un leader, pas un suiveur non plus, quelqu’un, culturellement plutôt de droite, qui se fond dans un courant d’avant-garde, sait s’emparer d’idées prometteuses, sait renifler l’air du temps avant qu’il ne se manifeste et va progressivement décrypter l’histoire et la société qui l’entoure au point de l’influencer profondément à travers ses œuvres. Jusqu’à devenir un des grands artistes du siècle. A l’égal d’un Picador ou d’un Bob Dylan, chacun dans leur domaine.
Dans le livre d’Antoine de Baecque, on voit les films de Godard acquérir de l’épaisseur, depuis les balbutiements du projet, la constitution d’une équipe, l’écriture (jusqu’à les dernière minute). Sans oublier la découverte que nous faisons des choix techniques comme ceux de la caméra, de la pellicule ou les parti-pris du montage (souvent particuliers dans chaque films, au moins pour les 10 premiers).
Le grand talent d’Antoine de Baecque c’est de nous faire vivre tout cela progressivement , tout en le resituant en permanence dans la société dans laquelle baigne Godard.
Et de ce point de vue, le personnage aurait pu être n’importe qui ou presque, le travail d’Antoine de Baecque resterait en tout point remarquable. On est à mille lieues des « copier-coller » qui servent souvent à illustrer certaines biographies historiques, avec leurs fiches prémachées.
Nous sommes là face à un livre passionnant, agrémenté de 32 pages de photos indispensables. Dernier point, le ton de l’auteur qui trouve la bonne distance avec son sujet : affectueux, mais pas révérencieux;critique, mais avant tout désireux de comprendre; et qui préfère revenir aux faits plutôt qu’à des explications oiseuses quand certaines choses paraissent difficiles à saisir …de loin. Il en est de même pour certains événements historiques relatés dans le livre : l’auteur ne s’interdit pas des affirmations basées sur un vrai travail historique, mais sans tomber dans les certitudes assénées du haut de sa clairvoyance…trente ans après.
C’est suffisamment rare et difficile à tenir d’un bout à l’autre quand on se confronte à une telle personnalité.