Le pays est divisé en quatre zones, chacune occupée par les forces alliées victorieuses, plus ou moins conciliantes, plus ou moins intègres. Les grandes villes, sorties à l’état de ruine de la guerre, sont en reconstruction et bruissent d’un vacarme assourdissant. Les mentalités sont elles aussi en voie de « rééducation » après 12 ans d’enracinement d’une idéologie fasciste qui fut dévastatrice pour le monde. Les allemands sont fichés par une administration alliée qui peut parfois basculer de l’idée de justice à l’envie de vengeance ou l’assouvissement d’intérêts.
Mais la dénazification se heurte à de nombreuses difficultés. Une très large majorité des élites de la société civile allemande a été impliquée dans le système nazi. Impossible de faire redémarrer une nation sans ses juristes, ses scientifiques, ses industriels, ses fonctionnaires, ses politiciens. Les alliés eux-mêmes ont très envie de récupérer à leur compte les cerveaux allemands, notamment dans le domaine de l’armement, de la chimie ou du nucléaire, et nombre d’entre eux sont exfiltrés vers l’URSS ou les Etats-Unis. Certains programmes de recherches initiés dans ce cadre-là sur le sol américain vont d’ailleurs recourir à l’utilisation de cobayes humains qui n’est pas sans rappeler certaines expériences médicales menées par les nazis dans les camps de concentration…
Impossible également de punir de peine de mort ou même d’emprisonnement tous les anciens soldats allemands. Il y a bien des procès, des pendaisons, des peines de prison, notamment au Landsberg, cet établissement situé près de Munich et dont la cellule autrefois occupée par Hitler est ironiquement un doux réconfort pour bien des hommes incarcérés là-bas. Mais l’ampleur de l’entreprise la voue à l’échec et une loi d’amnistie se profile…
En parallèle, nombre de dignitaires ou hauts responsables nazis se cachent et tentent d’échapper à la fois à la peine de mort prévue pour les criminels de guerre mais aussi aux exécutions sommaires des « brigades de la vengeance » juives qui sévissent sur le territoire allemand. Ils s’organisent alors en un réseau très solidaire et efficace dont certaines ramifications courent jusqu’au sein des églises catholiques. Il est certains bourbiers dont il vaut mieux ne pas trop respirer les remugles…
Tout le monde s’accorde à dire que l’Allemagne, soumise à une « politique de liquidation du passé », doit pouvoir enfin tourner la page. Pourtant, elle est aussi bien malgré elle le terrain sur lequel se met en place les prémices de la guerre froide : Berlin est sous blocus soviétique, les américains et les russes s’y affrontent dans une bataille idéologique et technologique rude et tendue…
C’est dans ce contexte-là que nous retrouvons notre cher Bernie Gunther, gérant d’un hôtel miteux et désert à Munich, aux portes de Dachau. Toujours rongé par sa conscience d’ancien flic enrôlé automatiquement dans la SS au moment de la restructuration des forces armées, il digère les années noires et ose à peine espérer un renouveau pour son pays vaincu et mortifié.
Fidèle à l’engagement envers sa femme (pourtant vaguement sympathisante de l’ancien régime), il lui rend régulièrement visite à l’hôpital psychiatrique qui croule sous les malades souffrant de pathologies et de traumatismes hérités des années de guerre. Abasourdi, il apprend un jour son décès aussi inattendu que soudain, prétendument provoqué par le virus de la grippe.
Vaguement désemparé, il reçoit la visite d’un américain très antipathique qui déterre dans son jardin un trésor de guerre issu de spoliations juives et qu’il semble vouloir utiliser à des fins personnelles ou à tout le moins suspectes.
Puis il reprend son service de détective privé et travaille pour les beaux yeux d’une femme qui cherche son criminel de mari évaporé dans la nature… ce qui lui vaut un mémorable passage à tabac et l’amputation du petit doigt lors d’une scène digne de Reservoir dogs. Charitablement soigné et recueilli par un médecin, il rencontre lors de sa convalescence à Garmisch-Partenkirchen un quasi sosie et se glisse dans sa peau le temps d’une virée à Vienne. Il tombe alors dans un complot machiavélique construit de main de maître qui va l’obliger à fuir son pays et à s’exfiltrer vers l’Amérique du sud avec les « rats » comme Eichmann.
Nous voilà donc plongés dans un récit avec du rythme, de la perfidie, de la dissimulation, du crime, de l’hypocrisie, du mensonge, de la compromission et de la corruption ; le tout sur une trame historique des plus glauques, avec des personnages souvent abjects et des motivations infâmes. Mais fort heureusement, nous sommes accompagnés dans cette sombre histoire par l’impertinence sans concession et l’humour noir ravageur de notre Bernie au charme si attachant.