Après un « village sans histoires » de Charles Lewinsky paru très récemment, je retrouve ici le thème de la bourgade en apparence paisible, minée cependant par des histoires glauques et des habitants au passé et aux secrets troubles.
Le postier Passila, fatigué de la « grande ville », demande sa mutation dans un petit village au pied du volcan Tipec. Plein d’enthousiasme et de bonne volonté, il débarque un soir sur la place publique puis prend possession du bureau de poste dont il est devenu responsable.
Très vite, il se heurte à l’hostilité de certains habitants, entend des discours mystérieux à propos de son prédécesseur dont il ne subsiste aucune trace, subit des visites impromptues de personnalités locales telles le docteur, le policier, le maire. Il fait également la connaissance d’Estrella, la fille d’un homme en fauteuil roulant, et en tombe évidemment amoureux.
Sûr de lui, il ne se démonte pas face aux rebuffades du boulanger et de son épouse ni à l’agression physique dont il est victime de la part de la vieille Miranda. Tenant tête aux plus coriaces, il organise sa tournée efficacement, réaménage son poste de travail et son appartement de fonction, reçoit les clients et prend à coeur de leur livrer ou d’expédier leurs lettres.
Certes, face au climat lourd et suspicieux qui règne autour de lui, il est bien tenté de découvrir les secrets latents du village en lisant subrepticement le courrier dont il a la charge. Cependant, lorsque le policier lui demande d’ouvrir frauduleusement pour son compte des colis ou plis suspects, Passila se drape dans sa dignité. Il brandit sa déontologie pour ne pas obéir aux injonctions de ce fonctionnaire dont les motivations profondes ont plus l’air de reposer sur l’intérêt particulier que sur l’intérêt général.
Mais que s’est-il passé dans ce village ? Pourquoi ce climat de guérilla larvée ? Qui raconte la vérité, qui ment ? Quelle cause embrasser et a-t-on le choix ? Faut-il fuir lâchement ou rester droit dans ses bottes ? Qui est réellement cet homme au corps torturé caché chez Miranda ?
Alain Beaulieu ne se contente pas de nous faire observer le village à bonne distance. Par le biais de Passila, nous pénétrons peu à peu au centre des « affaires », ou plutôt de « l’affaire » et vivons avec lui les doutes et les interrogations. Les personnages sont nuancés et il est difficile de démêler le faux du vrai. Ils se dévoilent peu à peu et on sent la peur des uns, la haine des autres, le désir de vengeance. On entend la calomnie, on se débat dans les rumeurs, on imagine les compromissions. Tout le monde observe tout le monde, les médisances courent de porte en porte, les clans se forment.
Toute cette atmosphère délétère d’un microcosme social graveleux est très bien rendue par une écriture sobre et factuelle qui maintient exactement la bonne distance entre le lecteur et le narrateur. Certains détails de l’environnement et des faits relatés, comme la consonance hispanophone des noms ou cette menace irréelle d’une guerre civile provoquée par un fait divers local, me rappellent un peu le réalisme magique présent dans Ce que je sais de Véra Candida, de Véronique Ovaldé ou Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez (l’illustration de couverture nous vient d’ailleurs de l’artiste colombien Botero).
Un très agréable moment de lecture.