Brigitte Aubert nous convoque au pays des contes de notre enfance. Nous retrouvons donc avec bonheur le Petit Poucet, le Chat botté, Peau d’âne, Blanche Neige, Riquet à la Houpe, Barbe Bleue, Hansel et Gretel et autres fées et princesses issues de l’imagination fertile de Charles Perrault ou des frères Grimm. Dans un maelström virtuose, les destins de ces héros vont se croiser, s’emmêler tout au long d’une fuite tortueuse et labyrinthique vers la mer.
Mais attention ! Les aventures extraordinaires relatées ici sont « brutes de décoffrage ». On commence par le massacre des frères du Petit Poucet façon gore, on poursuit avec une princesse sale et vulgaire qui n’hésite pas à éliminer toute sa famille. Certains personnages à la faconde raffinée rivalisent avec d’autres proférant des chapelets de grossièreté alors qu’une gracile jeune fille exprime ses sentiments en expectorant perles, bijoux, diamants ou serpents et autres insectes répugnants.
Les traits de caractère bien connus de nos héros sont forcés jusqu’à la caricature : le Chat est un vieux roublard mais qui use et abuse de l’escroquerie, le Petit Poucet est certes très courageux mais ne doit sa malice qu’à son petit frère, vilain gnome difforme qu’il porte sur son épaule. D’autres caractéristiques sont plus étonnantes mais très réjouissantes : Peau d’âne est d’une pédanterie sans nom, le dernière femme de Barbe bleue ne cherche finalement qu’à pardonner et plaire à son homme malgré ses macabres découvertes, Hansel et Gretel sont d’affreux gamins bêtes et méchants.
Le monde alentour n’est que cupidité, barbarie, vengeance, menace et trahison. L’ogre est à la poursuite du Petit Poucet qui lui-même fuit ses parents assassins (délicieuse scène où le Petit Poucet va chercher consolation auprès de sa mère après avoir échappé au massacre et se trouve face à une horrible femme qui vainement lui tend les bras pour mieux l’éliminer). Peau d’âne tente de se dégager de l’emprise de son père incestueux, Blanche neige est traîtreusement empoisonnée par sa belle-mère jalouse et perfide… Les pères respectifs de Peau d’âne et de Blanche neige se livrent un combat sans merci où le mal le dispute… au mal.
La litanie des horreurs présentes dans les contes de fées est ici mise à nue, égrénée à l’infini, débarrassée des édulcorants et ornements qui permettent aux enfants d’écouter sans être définitivement traumatisés. C’est râpeux, cru, déjanté, brutal, sauvage et pourtant on garde un sourire narquois et un oeil espiègle, d’un bout à l’autre de la lecture, en retrouvant ainsi notre âme de sale gosse qui lorgne goulûment une monstrueuse parade.
Jubilatoire !