Nora est une jeune trentenaire, vive et drolatique, à la limite de l’excentricité. Son monde intérieur est foisonnant, débridé, toujours en ébullition.
Ses pensées tournent, virevoltent, se posent, s’emballent comme d’éphémères papillons butineurs ; les questions fusent, ralentissent le rythme des idées avant de relancer l’esprit sur mille et une nouvelles pistes d’explorations intellectuelles, de spéculations hasardeuses, d’hypothèses saugrenues, de lubies décalées.
De caractère assez fantasque et de tempérament hypersensible, Nora se perd souvent dans les méandres instables de ses humeurs. Il faut dire qu’elle a vécu un traumatisme récent : le coma dont elle a été la victime a modifié sa perception de la vie et son rapport à la mort. Elle a certes gagné en froide lucidité mais aussi en vulnérabilité, sentiment angoissant qu’elle tente de compenser par une attitude cynique.
« La plupart des gens qui m’entourent me considèrent comme une miraculée mais depuis mon coma, il y a pourtant presque deux ans maintenant, seule la quête d’une vérité supérieure est capable de m’enthousiasmer… »
L’apparition d’une pandémie mortelle de variole et sa cuisante rupture amoureuse, provoquée par une de ses élucubrations aussi drolatiques que spirituelles, accentuent encore son malaise. Nora, bien qu’entourée de sa petite bande d’amis fidèles et dévoués, se coupe de plus en plus de la société, s’invente un monde imaginaire, se replie sur elle et ses angoisses.
« Moi, je ne peux rien entreprendre en sachant que je vais bientôt partir, j’attends près de la porte avec mon manteau sur le dos et mon sac entre les mains. Certains de mes amis me plaignent de ne savoir jouir de rien en cette vie, et ils ont raison. Mais mon gouffre existentiel me définit désormais tellement que je ne peux même plus m’imaginer sans lui. Que resterait-il de moi ? »
Engluée dans un complexe d’infériorité, atteinte douloureusement par l’inexorable vanité de l’existence et son caractère parasitaire, paralysée à l’idée de la mort, Nora échafaude des justifications intellectuelles souvent pleines d’humour et de dérision mais qui la condamnent à ressasser ses frustrations.
« Quand on a tendance à se sentir inutile, on devrait au moins s’épargner de devenir encombrant. »
La faille psychique de la jeune femme, alimentée et amplifiée par son intelligence aiguë et sa sensibilité exacerbée, se mue en une sévère pathologie psychologique. La frontière entre le réel et l’imaginaire devient trouble, ses rapports aux autres se compliquent et se tendent, son insatisfaction intérieure s’exprime par des réactions violentes et inadaptées.
Nora et son caractère passionné et excessif, ses faiblesses et démons ; Nora et ses épiphanies lumineuses, ses traits d’humour jubilatoires ; Nora et son étrangeté au monde, son insatiabilité à vivre…
L’auteure a su construire un personnage très attachant et émouvant dans un style enlevé et vif même s’il souffre parfois d’un manque de spontanéité et de simplicité. La description des états d’âmes dépressifs est éclairée et juste, surtout quand elle servie par des phrases percutantes dont la sobriété fait gagner en efficacité. Certains lecteurs auront l’écho clair et fulgurant d’émois déjà ressentis, d’autres approcheront la vérité de cette indisposition de l’âme d’un peu plus près, en finesse, sans sombrer dans le pathos ni subir une écriture plombante. Une jolie réussite pour une auteure si jeune encore…