L’Horizon est une élégante déambulation dans les brumes du passé, les limbes de « ce qui aurait pu être et qui n’avait pas été », une échappée entre les visages croisés, les souvenirs gardés, les rues traversées, les évènements oubliés qui ressurgissent, réels ou imaginés, remembrances diffuses de « brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone figurant dans un ancien agenda et que vous avez oubliés, et celles et ceux que vous avez croisés sans même le savoir »…
«Depuis quelque temps Bosmans pensait à certains épisodes de sa jeunesse, des épisodes sans suite, coupés net, des visages sans nom, des rencontres fugitives. Tout cela appartenait à un passé lointain, mais comme ces courtes séquences n’étaient pas liées au reste de sa vie, elles demeuraient en suspens, dans un présent éternel. Il ne cesserait de se poser des questions là-dessus, et il n’aurait jamais de réponse.»
L’Horizon est un instantané de toute cette réminiscence de la mémoire aux contours flous mais où perce cependant l’acuité de certains éléments, comme un éblouissement, une fulgurance de cette nostalgie apaisée qui interroge sur la nature de notre vie, notre interaction sur le monde, une expression de ces interrogations que nous nous posons avant de pouvoir nous projeter à nouveau. Le narrateur se trouve :
Atteindre un carrefour de sa vie, ou plutôt une lisière d’où il pourrait s’élancer vers l’avenir. Pour la première fois, il avait dans la tête le mot : avenir, et un autre mot : l’horizon. Ces soirs-là, les rues désertes et silencieuses du quartier étaient des lignes de fuite qui débouchaient toutes sur l’avenir et l’HORIZON. »
Bosmans, homme de lettres, est à la recherche d’une femme qu’il a connue quelques décennies plus tôt, une femme-miroir qui lui ressemblait étrangement, dont il était certainement amoureux.
« Ils n’avaient décidément ni l’un ni l’autre aucune assise dans la vie. Aucune famille. Aucun recours. Des gens de rien. »
Sur la ligne du temps retracée par les souvenirs épars de Bosmans, Margaret Le Coz est une silhouette déracinée, une Française née à Berlin non reconnue par son père, qui fuit de ville en ville une menace incarnée par un amoureux éconduit. Bosmans, hanté lui par une image maternelle grinçante de mégère cupide, la rencontre lors d’une bousculade dans le métro parisien. Il va alors partager pendant quelques temps sa ligne de vie au gré de rendez-vous platoniques empreints de tendresse quasi fraternelle, évoqués comme des volutes de fumée entêtante et vaporeuse.
« Il suivait la Dieffenbachstrasse. Une averse tombait, une averse d’été dont la violence s’atténuait à mesure qu’il marchait en s’abritant sous les arbres. Longtemps, il avait pensé que Margaret était morte. Il n’y a pas de raison, non, il n’y a pas de raison. Même l’année de nos naissances à tous les deux, quand cette ville, vue du ciel, n’était plus qu’un amas de décombres, des lilas fleurissaient parmi les ruines, au fond des jardins ».
Une jolie promenade délicatement mélancolique dans les jardins suspendus du temps qui passe.