Voilà un texte, et un auteur d’origine suédoise, que j’ai découvert assez récemment grâce à Christian Olivier, le chanteur des Têtes Raides. Sur l’album Banco, il scande pendant près de 20 minutes des phrases hypnotiques qui m’ont littéralement figée dans une écoute quasi religieuse, sidérée par la puissance des mots, la force de la réflexion, la sévère lucidité de cette méditation philosophique.
Ecrit en 1952, ce texte intense, fervent et glaçant tout à la fois, est certes très exigeant. Stig Dagerman, jeune homme idéaliste tourmenté, très certainement hypersensible et d’une acuité impressionnante malgré son jeune âge, livre ses considérations sur la liberté de l’homme, l’emprise du désespoir, la difficulté de vivre, le salut de la création. Il oscille entre le constat d’une grande désolation empreinte d’une inexorable vanité et une aspiration éperdue au bonheur, une rage dévorante de vivre. Face à la beauté et à la monstruosité du monde, il tente de placer l’homme dignement. Face au problème de l’existence, il se demande si la mort est une solution. Face à la vacuité de la vie, il s’interroge sur le pouvoir rédempteur de l’écriture. Face à l’angoisse qui l’étreint, il se demande si la solitude peut être une aide. Il s’insurge contre l’injustice qui alimente son manque de foi en l’existence. Il ne trouve de répit que dans l’idée d’être un homme libre mais déplore la difficulté à le devenir.
Vers quoi l’homme peut-il donc se tourner ? Quelle consolation peut-il trouver à la douleur de vivre, à l’injustice, au monde trop fort pour lui, écrasant et cruel ?
Le constat de Stig Dagerman est sans appel. Ce n’est pas faute d’avoir cherché. Mais dans sa chute dépressive, il n’a trouvé aucun secours, aucune lumière, aucun refuge.
Stig Dagerman se suicidera deux ans plus tard, à l’âge de trente et un ans.
Cette réflexion, comme un testament, est d’une fulgurance d’autant plus douloureuse qu’elle s’appuie sur une analyse méthodique, une démonstration accablante, une rigueur intellectuelle éclairée. D’un côté, il y a le bouillonnement de celui qui veut survivre coûte que coûte, de l’autre il y a la froideur de la réalité. Cette dualité si paradoxale décuple la puissance du propos. Le raisonnement sec qui mène alors au constat impassible de l’échec entre brutalement en collision avec les affres de l’impuissance, la fièvre de l’émotion, l’agitation des sentiments, la commotion de l’âme. Et cela nous heurte de plein fouet, nous touche et nous foudroie.
Bouleversant.