Tous les personnages de ce livre, du moins ceux que l’on retrouve à plusieurs reprises et qui n’ont pas sombré en route, se posent cette question : « Qu’avons-nous fait de nos rêves ? »
Jusqu’à cette dernière ligne où Bennie et Alex espèrent, au moins dix ans après, retrouver Sasha en sonnant à la porte de son ancien appartement : « Un claquement de talon sur le trottoir déchira le silence. […] Or il s’agissait d’une autre jeune fille, nouvelle venue en ville, qui tripotait ses clés. » Point final.
L’histoire ne s’arrête pas, même si notre lot est de descendre en route, ou de changer de voie éventuellement pour continuer à rouler. Singulier portrait que Jennifer Egan trace de plusieurs générations, qui s’entremêlent et croisent leurs dérives. Des prémisses punks aux ultimes feux désespérés du même Scotty, devenu clochard, mais lancé dans un come-back suicidaire. Le parcours de Bennie, producteur musical sans cesse arrivé et déchu, mais toujours à cent lieues de ses illusions permanentes. Le personnage étonnant de Sasha qui traverse le livre de sa lucidité et de sa puissance vitale, même quand elle va de la jeune droguée à l’assistante indispensable, fascinante et kleptomane, pour finir mère de famille conformiste de deux jeunes surdoués totalement décalés.
Et tous les autres qui traversent ce livre à la chronologie rigoureuse et totalement foutraque, et où Jennifer Egan s’amuse avec les temporalités bizarres, les anecdotes en apparence sans lendemain et le passage en revue des rêves qui s’effondrent.
Qu’avons-nous fait de nos rêves est est un roman très attachant et captivant, mais qui demande une lecture attentive, si l’on veut goûter pleinement la saveur des sinuosités et des surprises temporelles de l’auteur.