Qu’est-ce qui distingue l’homme de l’animal ? Ou plutôt, qu’est-ce qui les rapproche ?
Réfléchir sur les rapports entre l’homme et l’animal, c’est réfléchir sur l’homme. En l’occurrence ici, plus particulièrement la femme.
Conscience, liberté, éducation, âme, fonction symbolique, déterminisme, instinct, raison, fidélité, tempérance, éthique…
Olivia Rosenthal nous emmène dans un récit à double histoire parallèle : celle d’une enfant qui grandit et recherche l’émancipation d’abord au sein de sa famille, puis dans la société ; celle d’animaux vus à travers les gens dont le métier est en rapport direct avec eux (soigneur, boucher, éthologue, dresseur, gardien de zoo, scientifique en laboratoire de recherche..).
Le point de départ du livre, c’est l’amour, le désir. Et un constat déjà qui malmène notre chère notion d’égalité.
L’amour, quand il s’agit des bêtes, est un luxe qu’on peut ou non s’offrir. Tout le monde n’a pas la chance de pouvoir aimer les animaux.
Puis il est question de protection, d’apprentissage, de carcan, d’identité, d’aliénation, de soumission…
L’humain a droit à une identité, l’oiseau à une identification. Les termes de la loi décident de la distinction entre l’homme et les bêtes.
Plus la petite fille grandit, plus son désir d’émancipation croît alors même que les contraintes sociétales pèsent toujours plus lourd sur elle.
L’homme mange les animaux, la société mange les hommes. A moins de réagir…
Dans un style entraînant rythmé par de très courts paragraphes et des effets de scansion, Olivia Rosenthal dissèque l’évolution d’une petite humaine comme un chercheur dissèquerait un rat en laboratoire. Elle implique fermement le lecteur en l’interpellant à la deuxième personne du pluriel. Impossible d’échapper à l’étau de cette démonstration. Mais le ton n’est ni grave, ni tragique, juste descriptif et implacable, comme le rapport d’un sociologue ou d’un éthologue après une minutieuse observation des faits.
Le terme d’euthanasie est employé de manière récurrente dans les textes sur l’usage des animaux. Pourtant, s’il désigne étymologiquement une mort douce, il s’applique plutôt, dans le vocabulaire courant, à l’acte de donner la mort à celui ou celle qui la réclame pour mettre fin à des souffrances physiques intolérables. Les animaux, même s’ils n’en expriment pas le souhait, peuvent bénéficier de l’euthanasie. Les hommes, en revanche, même s’ils en expriment vivement le souhait, n’ont jamais le droit à un tel traitement. Donner son avis ne sert donc strictement à rien et mieux vaut, comme les animaux, se taire. Pour que la frontière entre les hommes et les bêtes ne fasse aucun doute, on s’expose à de terribles incohérences.
L’origine de ce livre vient en fait de la biennale d’art contemporain « Estuaire » , aventure multidisciplinaire organisée au gré du cours de la Loire entre Nantes et Saint-Nazaire.
Il s’agissait en l’occurrence pour plusieurs auteurs d’écrire un texte devant accompagner une installation de Stéphane Thidet intitulée « La meute » (des loups dans les douves du château des ducs de Bretagne à Nantes). Ces textes ont ensuite été réunis dans un recueil éponyme et reprennent tous à leur manière la symbolique de l’animal dans notre société.
La version qu’en donne Olivia Rosenthal, avec en toile de fond sonore la célèbre phrase de Thomas Hobbes « l’homme est un loup pour l’homme », est captivante. De ce plaisir de lecture ne subsiste que le regret de ne pas l’avoir connue dans son contexte initial : la résonance entre différents artistes devait certainement rendre cette réflexion plus riche encore.