Il y a 30 ans paraissait ce texte, Sortie d’usine de François Bon. Mais aussi L’Excès l’usine, de Leslie Kaplan. La Réserve avait 5 ans. Nous avions déjà invité Robert Linhart pour L’Établi quatre ans plus tôt. Au vu de la sortie de ces deux livres qui nous parurent importants, nous décidâmes d’un thème : « Les écrivains et l’usine ». Nous ajoutâmes, pour faire bonne mesure le livre de mon ami Nicolas Dubost, Flins sans fin, paru en 1979 chez Maspero, un livre plus sociologique et politique que littéraire, mais qui comportait une part non négligeable de récit fort bien tourné. Nous avions de quoi fêter dignement l’anniversaire de La Réserve.
Lisons comment François Bon présente ce texte, 29 ans après, à l’occasion de sa reparution dans la collection de poche Minuit Double :
C’était mon premier travail en région parisienne. Je ne savais même pas où était la gare d’Austerlitz. J’avais fait les boîtes d’intérim rue de Provence. La première, on me proposait d’aller dessiner des tuyaux à Évry-Ville nouvelle, j’ai dit que j’étais pas venu de ma province pour dessiner des tuyaux. La deuxième, on m’a parlé de machines à souder, et qu’il fallait se présenter à Vitry-sur-Seine.
Je me souviens, dans les quelques minutes où j’attendais le chef du service essais, que j’avais pris un fascicule sur la table pour savoir ce que c’était, la soudure par faisceau d’électrons, parce que je n’avais jamais entendu parler de ça.
Je me souviens que les premiers mois je n’y comprenais rien à rien, et qu’une fois, ayant posé le fer à souder sur ma blouse de technicien, les types s’étaient rudement moqués de moi.
Je me souviens de Roland Barbier, l’ingénieur auprès de qui je devais travailler : son problème, c’était d’avoir un assistant susceptible de l’accompagner monter l’énorme bécane chez Tupolev à Moscou, et d’y rester 3 mois sans brouille : – Tu aimes Bach ?, question 1, – Tu sais jouer aux échecs, question 2. Pour le reste, il m’expliquerait, on avait le temps.
Je me souviens qu’après Bombay et l’électrocution qui avait failli être définitive j’avais les jetons de tripoter le 440 volts, et c’est probablement ça qui m’a éjecté de l’usine plus que tout le reste.
À l’époque on trouvait du travail comme on voulait, il suffisait d’entrer dans les boîtes d’intérim. Aujourd’hui ce serait différent. On était 1200 quand je suis entré dans cette boîte, 900 quand je l’ai quittée en 1980, et ils doivent être 250 maintenant.
Et un peu plus loin sur les conditions de publication de ce texte :
Il y avait L’établi de Robert Linhart, alors j’ai envoyé aux éditions de Minuit. J’ai reçu une lettre de refus. Le livre de Leslie Kaplan, L’Excès l’usine, venait de paraître chez POL et j’ai envoyé à POL, qui m’a répondu par une vraie lettre, et puis une autre. Même topo avec Christian Bourgois, grand bonhomme. Enfin Denis Roche, qui m’avait reçu au Seuil, pris une page de mon manus et montré ce qui restait à faire. Après quoi il m’avait dit : partez 3 semaines à la campagne, retapez votre truc en entier et renvoyez-le à Lindon.
Trois semaines plus tard j’étais devant Lindon, et il me signait un contrat – avec les premiers droits d’auteur, 3500 francs, j’achèterais un frigo (mon premier) et les oeuvres complètes de Flaubert en 16 tomes du Club de l’Honnête Homme, les seules à l’époque avec la Correspondance intégrale, et que j’ai toujours.
Je n’ai plus jamais fait de soudure, ni de philosophie. Les rêves de blessure continuent, et l’angoisse.
Sortie d’usine avait été traduit en allemand et en chinois.
Sortie d’usine a été réimprimé bien des fois, et vendu avec une stabilité exemplaire toutes ces années.
François Bon était l’invité d’amitié des 30 ans de La Réserve en 2007 : lire ICI le magnifique reportage qu’il avait fait sur cette journée !
Leslie Kaplan est l’invitée d’amitié des 35 ans de La Réserve en 2012.