Soyez les bienvenus au pays de l’ « infinie loufoquerie » !
Dans « cette merveilleuse vieille vallée chinoise (qui rappelait les Pays-Bas par certains aspects) du Nord-Ouest de l’Amérique (…) presque exclusivement peuplée de Scandinaves », se trouve en bord de route un étrange café-restaurant.
Cette attraction touristique propose un zoo presque sans animaux (deux couleuvres et une mouche tsé-tsé inhumée dans un morceau d’ambre), un cirque de puces savantes costumées et un stand de hot-dogs dont la portée philosophique ne doit pas être sous-estimée :
Une saucisse, c’est une image de repos, de paix et de tranquillité qui forme un contraste frappant avec le chaos et la destruction dont est faite la vie quotidienne. Songer un peu à la nonchalance paisible de la saucisse, comparée à l’agressivité et à la violence du bacon.
Nos hôtes en cette contrée macaronique sont les époux Ziller et leur babouin « Mon cul » dont la rougeur du fessier crève le paysage comme une tomate écrasée sur le tarmac d’un ascenseur (je m’essaie au style Robbins, je réclame donc votre indulgence…).
John Paul est né en Afrique (ou serait-ce en Inde ?). C’est un artiste accompli, musicien, plasticien, magicien à ses heures. Doté d’un charisme et d’une aura érotique de chaman, il promène sa nonchalance un pagne autour des hanches et un os dans le nez (ou l’ai-je rêvé ?).
Sa jeune femme Amanda est la fille spirituelle de Mère Nature, figure quasi mythologique incarnant les forces génératrices originelles, sensuelle version féminine du dieu Pan.
Vous ne voudriez pas me dévoiler quelque chose sur la nature profonde de mon être ?
– Que ferez-vous pour nous en échange ? demandèrent les gGtans. Amanda baissa ses longs cils et sourit gentiment.
– Je vous sucerai, dit-elle.
Championne des aphorismes et des réflexions métaphysiques fulgurantes, son credo se résume brièvement : naissance, copulation, mort, magie et liberté.
Un être bizarre, ça n’existe pas. C’est juste que certaines personnes nécessitent plus de compréhension que d’autres.
Il ya trois états mentaux qui m’intéressent (…) Ce sont : un, l’amnésie ; deux, l’euphorie ; trois, l’extase (…) L’amnésie, c’est ne pas savoir qui on est et avoir très envie de la découvrir. L’euphorie, c’est ne pas savoir qui on est et s’en moquer. L’extase, c’est savoir exactement qui on est – et s’en moquer quand même.
Bien que la surface de notre planète soit recouverte aux deux tiers d’eau, on l’appelle la Terre. Nous nous disons terriens, pas meriens. Notre sang est plus proche de l’eau de mer que nos os ne le sont de la terre, mais peu importe. La mer est un berceau qui nous a vu naître, mais c’est à la poussière que nous retournons. A l’instant même où l’eau nous inventa, nous nous mîmes en quête de la boue. Plus nous nous éloignons de la boue, plus nous nous éloignons de nous-mêmes. L’aliénation est la maladie de ceux qui n’ont plus de contact avec la terre. »
Ainsi que vous pouvez le constater, Madame Ziller est pratiquement un oracle à elle toute seule, non dénuée toutefois d’un certain pédantisme minaudier et de préceptes pontifiants.
Gravitent autour de ce couple hippie et gai luron des personnages hauts en couleur tels Plucky Purcell, un Lucky Luke extravagant et mercenaire libertaire, et Marx Marvelous, dandy oscillant entre la tentation du Power flower et les doux repères familiers et sécurisants de la société conventionnelle.
Ce petit monde heroï-comique aime à organiser des think tanks dans lesquels ils discourent sans fin sur des notions philosophiques ou mystiques, comme la liberté :
Je crois que ce qui vous obsède, parmi d’autres choses, c’est retrouver un mode d’existence perdu, un style de vie complet dans lequel il n’y a pas de frontières entre l’objet et le sujet, entre le naturel et le surnaturel, entre être éveillé et rêver. D’une certaine manière, c’est lié à un retour à la consanguinité entre la vie et l’art, la vie et la nature, la vie et la religion, la vie à un niveau mythique et rituel dont des sociétés entières ont autrefois fait l’expérience en commun. L’objet de vos rituels, je crois, est de vous libérer des conventions qui ont enchaîné l’homme à certains clichés et à certaines réactions prévisibles qui ont lamentablement rétréci, du moins à votre avis, l’étendue de son expérience .
Tout se bouscule le jour où Plucky Purcell débarque en tapinois du Vatican, convoyant frauduleusement le Corps du Christ, le FBI à ses trousses. Conscients de tenir une bombe entre leurs mains, nos Pieds Nickelés de la Skagit Valley se demandent quoi faire de l’encombrant symbole qu’ils détiennent. S’ensuivent de longs débats sur la religion, ce qu’elle apporte à l’humanité, ce qu’elle lui enlève, si la preuve de la non résurrection du Christ suffirait à faire exploser le christianisme, blah,blah,blah…
L’homme vit dans le mensonge depuis le tout début de l’ère judéo-chrétienne. Ce mensonge a déformé notre science, notre philosophie, notre économie, nos institutions sociales et notre existence quotidienne la plus simple : notre sexualité et nos jeux. L’homme n’a aucune chance de découvrir, ou de redécouvrir, comme Amanda pourrait le dire, qui il est, ni où est sa place dans l’image cosmique, l’ordre naturel des choses selon Mère Nature, tant qu’il sera endormi et son attention détournée par la facilité de la superstition chrétienne complètement détachée de la réalité.
Si vous aimez les histoires déjantées mâtinées de mysticisme et de philosophie pratiqués en dilettante, les héros saugrenus et les narrateurs qui ont des hémorroïdes ; si un pastiche de la culture hippie vous tente malgré un décalage de près de quarante ans qui fait que certaines audaces littéraires ou subversions éhontées passent aujourd’hui inaperçues ; si vous aimez le style frénétique et bouillonnant de Tom Robbins qui excelle à relier dans une phrase des éléments dont la combinaison est follement incongrue ; si vous êtes prêts à subir un feu d’artifices d’imagination débridée qui vous bombarde l’esprit comme le harcèlement d’une guêpe lors d’agapes estivales, alors cette bien étrange attraction est faite pour vous !