Vendetta, c’est l’histoire de deux familles : la famille Lucchese, clan de la mafia italienne, et la famille Perez, dont le père Ernesto, cubain d’origine, est depuis les années 50 un des exécuteurs des basses œuvres à travers tous les Etats-Unis de cette Casa nostra .
C’est aussi l’histoire de deux tombes creusées pour une vengeance orchestrée « en famille » et de main de maître : « Quando fai i piani per la vendetta, scava due tomba – una per la tua vittima e una per stesso « (si tu cherches la vengeance, creuse deux tombes… une pour ta victime et une pour toi).
Dans un récit prenant écrit sous une plume fluide et limpide, l’auteur nous emmène à La Nouvelle-Orléans où Perez, vieil homme sûr de lui, vient se livrer au FBI pour l’enlèvement de Catherine Duncan, la fille du gouverneur de Louisiane, et le meurtre de son garde du corps, retrouvé mutilé, le dos bizarrement tatoué d’une constellation des Gémeaux.
Perez passe un étrange marché avec des fédéraux très excités et sous pression : il leur dira où retrouver la fille kidnappée. Mais auparavant, il demande la venue de Ray Hartmann, obscur agent travaillant dans une unité luttant contre le crime organisé à New-York, alcoolique en rémission nageant dans ses déboires conjugaux. Celui-ci devra patiemment l’écouter raconter sa vie tumultueuse jalonnée d’intimidations, de meurtres, aux côtés de gangsters, de tueurs à gages et de parrains vénérant Al Capone, mais aussi aux côtés de sa tendre femme et de ses jeunes et adorables jumeaux.
Pourquoi cette étrange confession ? Et pourquoi avoir fait venir Ray Hartmann ? Quels sont les liens entre l’enlèvement d’aujourd’hui et la vie passée d’Ernesto ? Qui est-il vraiment, cet homme qui ne s’en laisse pas imposer, inconnu des services de police et du FBI ? Un imposteur ? Un vrai truand ? Une machine à tuer froide et aguerrie, sans respect pour la vie humaine ? Un homme d’honneur, de foi, de loyauté à sa famille, à « ses familles » ? Que sait-il de la mort de Kennedy, de celle de Marilyn Monroe, des accointements entre politiques et escrocs, des conflits entre divers clans mafieux : les Irlandais, les Italiens, les Hispaniques ?
Avec maestria, le roman distille les évènements un à un, méthodiquement. Certains, liés à l’activité professionnelle de Perez, sont d’une insupportable violence. D’autres relèvent d’un registre plus banal, intime et humain. Entre deux séances de témoignage, nous retrouvons nos fédéraux, complètement dépassés, dans l’incompréhension la plus totale, leur enquête en berne et leurs suppositions vaines, jusqu’au dénouement fulgurant qui révèle un esprit de vengeance implacable.
Malgré nous, on finit par admirer l’homme, Ernesto Perez, lie de la société et rouage du crime organisé. Il y a de la noirceur crasse et la plus totale des immoralités dans les actes de ce personnage, mais une réelle intégrité dans sa personnalité qui finit par nous conquérir et nous imposer respect. Un double visage troublant et fascinant.
Vendetta n’est pas une énième histoire scabreuse de mafia, du réchauffé, du déjà vu. Ce n’est pas non plus un thriller tordu et alambiqué : son épilogue ne nous laisse pas de zones d’ombre ou de frustrations mais plutôt un éclair de délectation grisante.
Il y a du Shakespeare et du Machiavel dans ce livre. Et il y a le talent de conteur de R. J. Ellory, qui nous avait déjà bluffé par son précédent roman, Seul le silence*, certes plus intimiste, plus poétique, mais tout aussi bien construit et écrit, avec une puissance émotionnelle lancinante et efficace. Cet écrivain sait raconter de vraies histoires d’hommes qui ne sont pas reléguées à de la simple figuration derrière l’intrigue policière et réussit un bel équilibre entre les deux.
Un auteur à découvrir absolument…
* Seul le silence a paru en grand format aux éditions Sonatine en 2008 et au Livre de poche en 2009.